Le Hussard Sur Le Toit
(Jean GIONO)
Un extrait poignant du roman de jean GIONO, une insuportable histoire des conflits Angelo partit à quatre heures du matin. Les bois de hêtres dont lui avait parlé le garçon d'écurie étaient très beaux. Ils étaient répandus par petits bosquets sur des pâturages très maigres couleur de renard, sur des terres à perte de vue, ondulées sous des lavandes et des pierrailles. Le petit chemin de terre fort doux au pas du cheval et qui montait sur ce flanc de la montagne en pente douce serpentait entre ces bosquets d'arbres dans lesquels la lumière oblique de l'extrême matin ouvrait de profondes avenues dorées et la perspective d'immenses salles aux voûtes vertes soutenues par des multitudes de piliers blancs. Tout autour de ces hauts parages vermeils l'horizon dormait sous des brumes noires et pourpres. Le cheval marchait gaiement. Angelo arriva au pas de Redortiers vers les neuf heures. De là, il pouvait plonger ses regards dans la vallée où il allait descendre. De ce côté, la montagne tombait en pentes raides. Au fond, il pouvait voir de maigres terres carrelées, traversées par un ruisseau sans doute sec parce que très blanc et une grand-route bordée de peupliers. Il était presque juste au-dessus, à quelque cinq à six cents mètres de haut de ce hameau que le garçon d'écurie avait appelé Les Omergues. Chose curieuse: les toits des maisons étaient couverts d'oiseaux. Il y avait même des troupes de corbeaux par terre, autour des seuils. A un moment donné, ces oiseaux s'envolèrent tous ensemble et vinrent flotter en s'élevant jusqu'à la hauteur de la passe où se trouvait Angelo. Il n'y avait pas que des corbeaux; mais également une foule de petits oiseaux à plumages éclatants: rouges, jaunes et même une grande abondance de turquins qu'Angelo reconnut pour être des mésanges. Le nuage d'oiseaux tourna en rond au-dessus du petit village puis retomba doucement sur ses toits. A partir de la passe, le chemin était assez scabreux. Il finissait par arriver en bas dans des champs. Malgré l'heure relativement matinale, la terre était déjà recouverte d'une épaisse couche d'air brûlant et gras. Angelo retrouva les nausées et les étouffements de la veille. Il se demanda si l'odeur fade et légèrement sucrée qu'il respirait ici ne provenait pas de quelque plante qu'on cultivait dans ces parages. Mais il n'y avait rien que des centaurées et des chardons dans les petits champs pierreux. Le silence n'était troublé que par le grésillement de mille cris d'oiseaux; mais, en approchant des maisons, Angelo commença à entendre un concert très épais de braiments d'ânes, de hennissements de chevaux et de bêlements de moutons. «Il doit se passer quelque chose ici, se dit Angelo. Ceci n'est pas naturel. Toutes ces bêtes crient comme si on les égorgeait.» Il y avait aussi cette foule d'oiseaux qui, vue maintenant à hauteur d'homme, était assez effrayante, d'autant qu'ils ne s'envolaient pas; la plupart des gros corbeaux qui noircissaient le seuil de la maison dont s'approchait Angelo avaient simplement tourné la tête vers lui et le regardaient venir avec des mines étonnées. L'odeur sucrée était de plus en plus forte. Angelo n'avait jamais eu l'occasion de se trouver sur un champ de bataille. Les morts des man?uvres de division étaient simplement désignés dans le rang et marqués d'une croix de craie sur le dolman. Il s'était dit souvent: «Quelle figure ferais-je à la guerre? J'ai le courage de charger, mais aurais-je le courage du fossoyeur? Il faut non seulement tuer mais savoir regarder froidement les morts. Sans quoi, l'on est ridicule. Et, si on est ridicule dans son métier, dans quoi sera-t-on élégant?»
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