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Les Bienveillantes ***
(Jonathan Littell)

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L 'angle sous lequel le sujet de l'administration nazie ainsi que les réalités sociologiques de l'époque sont abordés ne peut que fédérer ;traitant l'un des drames les plus singuliers de l'Histoire, Littell le tire à lui, en mettant en scène l'incapacité existentielle des hommes à s'en défendre. L'habileté de l'écrivain réussit ainsi à transmuer ce sujet en un témoignage d'une universalité troublante. Alors, dans cette perfection, que penser d'un tel roman qui, à peine édité, fait déjà figure de 'classique' ? Si l'on ne peut en effet n'être qu'admiratif devant cette capacité à dépeindre 'l'irresponsabilité'des personnages, si l'on ne peut que sentir ce souffle russe se déverser sur cette succession de personnages bruts, suivant les ordres de l'Autorité comme Sisyphe traîne son rocher, sa qualité révèle l'ambiguïté d'une telle entreprise. Bien qu'intimement relié à un moment précis de l'histoire, le récit semble déjàs'en extraire et s'impose comme hors du temps, toujours d'actualité. Reste qu'une telle qualité devient presque frustrante et rares sont les moments où l'on sent l'auteur au bord de l'abîme, où l'on perçoit une véritable prise derisque sinon dans cette justification un peu lourde à laquelle se livre son héros dans les premières pages pour légitimer le récit de l'horreur, comme s'ildécouvrait, étonné, que l'indicible, l'inimaginable, peut s'écrire, peut s'étaler et se dire à nouveau. Frères humains.., Immédiatement, vous devenez son complice. Cet ouvrage génial ne vous lâchera jamais, ni pendant la lecture, ni après. Profondément fouillé, doté d'une armada de qualités et de faiblesses, le personnage d'Aue rend à l'horreur nazie son visage humain. Que d'honneurs et de louanges pour ce pavé assénant avec la lourdeur du plomb tous les poncifs, tous les clichés déjà ressassés depuis soixante ans par tant d'autres jusqu'à la nausée, pour qualifier les horreurs d'une époque maudite. L'implacable mécanique administrative, tous ses recours pour masquer l'abomination est démontée devant nous, accablante, sans véritable sadisme ou perversion à l'exclusion dequelques uns. Ce livre broie, étreint, donne la nausée, marque pour longtemps. L?auteur nous avoue en personne ce qu?il aurait tout aussi bien pu ne pas écrire Voilà ce qu?il dit en substance: Après tout, ce n'est pas une obligation. Depuis la guerre, je suis resté un homme discret; grâce à Dieu, il n?a jamaiseu besoin, comme certains de ses anciens collègues, d'écrire ses Mémoires à finde justification, car il n'a rien à justifier, ni dans un but lucratif, car il gagne assez bien sa vie comme ça. Il ne regrette rien: Il a fait son travail, voilà tout; quant à ses histoires de famille, qu?il raconterait peut-être aussi, elles ne concernent que lui; et pour le reste, vers la fin, il a sans doute forcé la limite, mais là il n'était plus tout à fait lui-même, il vacillait, le monde entier basculait, il ne fut pas le seul à perdre la tête, reconnaissez-le. Malgré ses travers, et ils ont été nombreux, il est resté de ceux qui pensent que les seules choses indispensables à la vie humaine sont l'air, le manger, le boire et l'excrétion, et la recherche de la vérité. Le reste est facultatif.



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