Mercier Et Camier
(Beckett, Samuel)
Ils ont perdu leur bicyclette qu'ils viennent de retrouver, mais faut-il la prendre pour aller plus loin, si oui, faut-il remettre la selle, si jamais il y en eut jamais une, quant au sac, on en fera l'inventaire plus tard, à moins qu'il ne soit crucial d'en répertorier les éléments dès maintenant, histoire de savoir s?il faut ouvrir le parapluie ou s?y pendre dans les airs sur un pied avant la chute fracassante, histoire de savoir s?il faut où comment commencer une histoire, ou une histoire de l?histoire? Mercier et Camier se sont donné rendez-vous dans un parc, ils ne sauront jamais lequel d'eux deux fut en retard, lorsqu' au terme d'un vertigineux chasser-croiser ils finissent par emboîter leurs deux spirales. Maintenant il faut partir, pour où? quitter la ville? pour la campagne? pour partir? non, même pas pour partir, le pojet n'est peut-être même pas de ne pas en avoir. D'abord aller rendre visite à Hélène, que nous ne verrons pas plus que dans l'antique guerre de Troie, nos compères resteront deux. Hormis bien sûr les quelques morceaux de personnages, si paradoxalement entiers, qui viendront émailler leur non- errance dans le presque nulle part et le fondamentalement partout, en leur rappelant des dettes, un contrat. Halluciné, Mercier voit apparaître ces deux enfants, à peine des larves, en pleine dégustation de baba-au-rhum, ou Paris-Brest. Et puis ces mots qui tout à coup arrêtent le vertige, arrêtent la spirale pour une pause linguistique : qu'est-ce donc qu'un massepain? Qui sait encore qui est quoi qui fait qui? Pourquoi encore? Et quel besoin de précisions? L'amitié les dévore, dans ce cimetière du monde qui en rend le squelette si visible, où les sentiments survivent d'autant plus intensément qu'ils refoulent l'espace où l'homme n'a plus qu'à marcher. On pense à Laurel et Hardy bien sûr, mais la dérision est plus abattue ; s'ils sont comiques, Mercier et Camier, c'est presque à nos dépends, s'ils se sentent balottés, c'est comme un bouchon en pleine mer, si l'un d'eux est rouge, c'est comme un coq et près à éclater. Quoiqu'on retrouve en eux de ce qui ne put mourir en nous, lorsque tout fut mort, dès que tout fut mort, dans notre naissance, si jamais il y en eut jamais une. C'est à Flaubert qu'on ne peut qu'incontournablement penser, le Flaubert de Bouvard et Pécuchet, le Flaubert dont Beckett admirait l'ascétisme acharné du travailleur reclus, le Flaubert dont l'Irlandais disait : c'est comme ça qu'il faut être. Au terme de la course, si lente qu'elle nous laisse sur place, Mercier et Camier prendront deux chemins différents, au premier carrefour qui les trouvera enfin. Alors la peine est poignante, intense de ce qu'on ne nous a jamais laissé nous installer dans quoi que ce soit qui fut déjà écrit, ailleurs, chez Flaubert, chez Homère, tout en nous dérobant toujours ce qui toujours a été toujours écrit, par ces vrais écrivains qui touchent au squelette, décharné ou viandard à la mode rabelaisienne, à la moëlle, au trognon, comme disait Céline. Parallèlement à son travail de dramaturge, Beckett sonde ici la nature humaine, le monde où il est possible d'employer ce concept et sa dérision, avec la même lunette que dans Godot. Le roman semble d'ailleurs n'avoir guère quitté les planches où Vladimir et Estragon attendait savoir pourquoi ils attendaient quel visiteur. Régulièrement, une liste de syntagmes rappellent les diverses anti-péripéties du récit, mis en abyme avec nos attentes, celles qu'on nous raconte, celles qu'on nous parle de quelque chose, qui reste sans doute innommable : car c'est enfin dans la caverne du mononolgue, où le roman ne s'emprisonne ici qu'au gré d'une vois sous-jacente qui semble naître des deux personnages à la fois, ainsi que de leur créateur, si jamais il y en eut jamais un, que cette farce désenchantée qui ne tombe pas dans l'amertume, nousplus, tellement nous y sommes véridiques...
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